We want sex equality de Nigel Cole, par lesmistons.typepad.com

Publié le par festival.cine-droit.over-blog.com

Voici un billet qui nous est adressé par nos amis de la Rochelle, qui revient notamment sur le dernier film de Nigel Cole. N'hésitez pas à visiter leur blog : 

http://lesmistons.typepad.com

 

 

1

 

Out. Il faut que ça sorte. La réponse à la condescendance masculine du professeur au mépris pontifiant, du dirigeant syndical encroûté de paternalisme, des dirigeants négligents pour une force de travail annexe, ces femmes de l'atelier de confection de Ford. Out. Il faut que ça sorte. Ces femmes de l'atelier insalubre où elles sont reléguées dans la plus grande usine Ford en Europe, à Dagenham, dans l'Est du grand Londres. Out. Il faut que ça sorte. Du second rôle dans lequel la société des années 1960 les tient : ravissante femme au foyer surdiplômée (Rosamund Pike), ouvrière au salaire d'appoint (Sally Hawkins), ministre empêtrée de conseillers inutilement protecteurs et fats (Miranda Richardson).

 

Out. Prononcé sans brutalité, comme un constat, un mot suffisant pour que toutes les femmes de l'atelier se lèvent et quittent les lieux. En 1968, ces ouvrières de Ford vont, l'espace de quelques mois, occuper la place, la rue, la scène syndicale et politique alors qu'elles n'ont pas plus de culture syndicale que politique. Pourquoi ? Elles disent simplement vouloir le même salaire que les hommes qui exercent le même travail qu'elles. Cette exigence de justice force le respect tout au long du film We want sex equality, titre pour la France de Made in Dagenham. Le film, fiction inspirée de faits réels, est exaltant, aussi drôle qu'efficace.

 

2.jpg

 

Ce qui est montré de ces femmes donne envie d'agir, de ne pas renoncer et de demander l'asile politique à cette Grande-Bretagne enchantée des swinging sixties. En quelques scènes, par le jeu des actrices et acteurs, on voit monter une leader dans le groupe, on perçoit les difficultés d'une grève au long court, on est fasciné par le personnage de la meneuse de grève, petit bout de femme ordinaire et tenace. Elle est la petite sœur d'autres militantes de cinéma. Ainsi dans le film de Martin Ritt en 1979, Norma Rae était aussi une ouvrière réticente à l'action poussée par ce mélange qui fait les très bons détonateurs, la répétition quotidienne de petites injustices jamais résolues et le passage d'un syndicaliste aguerri.

 

Le fonctionnement du collectif ouvrier, la capacité d'écoute et de compréhension pour chacune, l'entrée dans les arcanes d'une organisation syndicale machiste, voilà qu'en quelques plans et dialogues mémorables se déroule un fantastique cours de théorie des organisations. Le film paraît d'autant plus nécessaire que les rires qui fusent dans la salle pendant la projection reprennent le temps du générique devant le texte relevant comment l'égalité des salaires est acquise en Grande-Bretagne depuis la loi de 1970 et comment Ford est devenue une industrie modèle dans le traitement des salariés. Pourquoi serait-ce drôle à l'heure où s'enseigne la responsabilité sociale des entreprises ? Est-ce incroyable aux yeux de spectateurs devenus imperméables aux discours des entreprises modèles ? Si le film fait rire jusqu'à sa dernière minute, c'est que les inégalités demeurent visibles à tous malgré les lois d'égalité de traitement. La Grande-Bretagne affichait en 2010 un écart moyen de 19,8 % entre le salaire des hommes et celui des femmes (Annual survey of hours and earnings : www.statistics.gov.uk/pdfdir/ashe1210.pdf).

 

3.jpg

 

Inutile de préciser que l'écart est en défaveur de ces dernières. En France, l'Insee indique en 2010 un écart moyen de 27%. Et ces deux chiffres ne disent rien de l'accès restreint à nombre de carrières : pour l'ensemble des pays de l'OCDE (www.oecd.org/document/57/0,3746,fr_21571361_46558043_47049657_1_1_1_1,00.html), les femmes ne bénéficient pas des mêmes opportunités que leurs collègues masculins. Notre Assemblée nationale s'enorgueillit de 18,6% de députées quand les conseils d'administration des entreprises françaises comptent parmi leurs membres un médiocre 7,6% de femmes et que 17% des entreprises françaises peuvent revendiquer une patronne. Mais l'université et la justice nous sauvent, 28% des professeurs du supérieur étant des femmes et 57, 8% des magistrats des femmes. Ouf.

 

Que ces chiffres ne vous effraient pas, le film reste une fabuleuse comédie engageante. L'atmosphère estivale et très colorée, très éloignée des récents pensums que le cinéma français a produits sur le monde industriel, n'est pas pour rien dans l'enthousiasme que suscite le film. Son point de départ mérite qu'on y revienne. Il s'agit aussi d'une aventure collective www.sonyclassics.com/madeindagenham

 

 Le producteur, Stephen Woolley, à la suite d'une émission de radio sur un groupe de femmes grévistes en 1968, décide d'aller à leur rencontre. Il est véritablement séduit par leur action mais aussi par leur personnalité et se refusant à brosser le portrait de l'une d'elles, il suscite un scénario fidèle à l'action mais librement inspiré des ouvrières grévistes. Le personnage de Rita O'Grady (interprétée par Sally Hawkins) est inspiré de plusieurs de ces femmes. Woolley et la productrice Elizabeth Karlsen vont donc s'investir dans le scénario avec Billy Ivory à l'écriture avant de trouver leur réalisateur, Nigel Cole. Pour la petite histoire, le film a été tourné dans l'usine Hoover au pays de Galles qui avait fermé ses portes peu de temps avant le tournage, l'usine originelle de Dagenham ayant elle disparu.

 

4.jpg

 

Out. Il faut que ça sorte. C'est aussi la trajectoire d'une femme bousculée dans ses certitudes, ses habitudes et ses limites. Elle parviendra à sortir de ce cadre dans une aventure collective. La prise d'ampleur du personnage de fiction fait écho au magnifique documentaire de Christian Rouaud sur la grève des Lip. Les différents témoignages de femmes y montrent leur maturation dans l'action collective : comment de jeunes ouvrières en retrait écoutant les aînés, les mieux formés, ceux qui savent, elles étaient devenues actrices de leur parcours et elles ont pris une place dans la société à laquelle elles n'auraient pas même rêvé auparavant. Alors dehors, allons chercher ce que nous sommes. L'enthousiasme est contagieux.

 

 Eve Lamendour

Maître de conférences en gestion

Université de La Rochelle

http://lesmistons.typepad.com

 

 

 

D'autres parcours de militantes au cinéma:

 

La grève des bonnes, film Pathé (1908)

Norma Rae de Martin Ritt  (1979)

Les LIP, l'imagination au pouvoir de Christian Rouaud (2007)

La reprise du travail aux usines Wonder de Jacques Willemont (1968)

Reprise d'Hervé Le Roux (1997)

Publié dans édition 2012

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
A lot has been changed from what we used to be. And the no of women at important sectors and jobs have increased and is going to be of great relevance in the coming years too. I hope it would go along like this forever.
Répondre